15 juin.
Ces moments rares se produisent quand la rivière est tranquille et le pêcheur discret. Souvent, la rivière est sur-fréquentée et des pêcheurs multicolores, fréquemment en groupe, gesticulent pour projeter loin leurres ou mouches.
La grande libellule
(d’après un témoignage de F.)
A début de années 1970, F. était adolescent. Il avait longtemps été limité à la pêche dans le ruisseau. Maintenant, il avait la permission d’aller au bord de la Dordogne et d’emprunter la barque de son père. Cette barque en bois était attachée à un vergne, à 200 m de chez lui, un peu en amont du pont. L’endroit n’était pas dangereux. Presque tous les matins, pendant les vacances, il passait quelques heures à pêcher les gardons au blé cuit. Il suivait les conseils donnés dans les livres qu’on lui offrait régulièrement ou dans les revues (Le Chasseur Français) que son père achetait. A cette époque-là, les canoës n’avaient pas envahi la rivière. Les premiers qui étaient apparus avaient même semblé très amusants. On pouvait pêcher sans être exaspéré par le bruit ou bousculé par des embarcations zigzagantes. Par contre quand F. arrivait, il croisait parfois un vieux pêcheur, bègue et très myope, qui relevait ses filets tendus malencontreusement sur le poste amorcé et l’accueillait toujours par un: « Mi-mi-miladïou. Qui-qui tu es, toi? ».
Ce matin de Juillet, quand F. était monté dans la barque, il avait remarqué une larve d’æschne (grande libellule) qui grimpait péniblement sur l’un des bords. L’ascension était difficile pour cette larve qui avait passé plusieurs années dans l’eau à dévorer de petites proies. Quand la barque fut amarrée, dans 2 mètres d’eau, derrière une touffe de myriophylles, l’animal était figé sur le rebord de bois. Durant toute la partie de pêche, il fallut éviter de déranger l’insecte. D’autant plus que des changements se produisaient. Le dos se fendait et un nouveau corps apparaissait.
En fin de matinée, la partie de pêche était terminée et la métamorphose de la libellule touchait à sa fin. L’insecte adulte faisait maintenant vibrer ses ailes et achevait de durcir ses tissus au soleil. L’adolescent plia la canne, remonta l’amarre et rama doucement pour revenir à la berge. La libellule était, elle aussi, prête à partir. Tout près des branches de saules qui bordaient la rivière, l’insecte s’élança vers sa vie aérienne. Il pourrait chasser des moustiques, se reproduire , vivre sa vie d’adulte.
Il s’éleva. Perchée dans les branches , une bergeronnette surveillait la zone depuis un moment. Quand l’æschne passa à sa portée, elle s’envola, saisit l’insecte, « l’emporte, et puis le mange, sans autre forme de procès. »