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Association de Pêche de Saint-Sozy

Extrait de « Trois hommes dans un bateau » de Jerome K Jerome Chapitre 19

« ..Je ne suis pas moi-même un bon pêcheur. À une époque, je mettais beaucoup d’application dans cet exercice et je croyais me débrouiller plutôt bien, mais les vétérans du métier jugèrent que je n’arriverais jamais à grand-chose de bon et me conseillèrent d’abandonner. D’après eux, je lançais parfaitement ma ligne, et paraissais avoir de grandes dispositions et suffisamment de paresse innée. Mais ils étaient persuadés que je ne ferais jamais un bon pêcheur, car je manquais de l’imagination nécessaire.
Comme poète, ou auteur de romans d’aventures, ou journaliste, ou n’importe quoi de ce genre, j’en avais peut-être suffisamment, mais quant à acquérir un certain rang en tant que pêcheur à la ligne sur la Tamise, il m’eût fallu davantage de puissance d’invention et de fantaisie que je n’en possédais apparemment. Certaines personnes pensent qu’il suffit, pour faire un bon pêcheur, d’être capable de raconter des mensonges avec facilité et aplomb ; mais c’est une erreur. Il est parfaitement vain de se contenter de mentir ; le premier amateur venu peut en faire autant. C’est à la description circonstanciée, au « petit fait vrai », à l’air de scrupuleuse, voire insolente, authenticité, que l’on reconnaît le pêcheur à la ligne chevronné. N’importe qui peut vous dire : « Oh ! J’ai pris quinze douzaines de perches hier après-midi » ou « Lundi dernier, j’ai ramené un goujon qui pesait dix-huit livres et mesurait quatre-vingt-dix centimètres de la tête à la queue. » Nul besoin d’art ni de talent pour débiter ce genre de propos. Il faut de l’aplomb, un point c’est tout. Non : le pêcheur accompli n’oserait jamais raconter pareille bourde. Sa méthode est beaucoup plus élaborée. Il entre tranquillement, le chapeau sur la tête, s’approprie le siège le plus confortable, allume sa pipe et commence à fumer en silence. Il laisse un moment les jeunes se vanter, puis, au cours d’une accalmie passagère, il ôte sa pipe de sa bouche, et, tout en vidant les cendres contre la grille du foyer, déclare :
« Eh bien ! moi, j’ai fait dans la soirée de mardi une prise qui ne vaut pas la peine que j’en parle.
Et pourquoi donc ? lui demande-t-on.
Parce que personne ne me croirait, si je la racontais », répond calmement le vieux renard. Et, sans la moindre trace d’amertume dans la voix, il rebourre sa pipe et demande au patron de lui apporter un triple scotch, sec.
Un lourd silence tombe, personne ne se sentant assez sûr de soi pour contredire le vieux pêcheur. Et celui-ci peut ainsi continuer sans y être invité :
« Non, dit-il, l’air pensif, je ne le croirais pas moi-même si on me le racontait, et pourtant le fait est là. Je n’avais pas bougé de tout l’après-midi et je n’avais rien pris du tout à part quelques douzaines de perches et une vingtaine de brochets –, et j’étais prêt à abandonner, lorsque tout à coup je sens une bonne touche. Encore un petit, je me suis dit, et j’allais l’expédier en l’air, mais, croyez-moi ou pas, impossible de remuer ma canne ! Il me fallut une demi-heure oui, monsieur, une demi-heure pour ramener ce poisson, et à chaque instant je croyais que la ligne allait se rompre ! Je finis par le gaffer, et savez-vous ce que c’était ? Un esturgeon, un esturgeon de quarante livres ! Pris à la ligne, monsieur ! Oui, vous pouvez avoir l’air étonné… Patron, un autre triple, s’il vous plaît ! » Et il continue en racontant la stupéfaction de tous ceux qui l’ont vu, et ce que sa femme a dit quand
il est rentré à la maison, et ce que Joe Buggles en pensait. »